Just a moment with you ft. Calvin

La mère de Sienna venait tout juste de partir à son travail en ce lundi matin. Généralement, la jeune fille quittait à son tour la maison vingt minutes après elle en vue de prendre le bus scolaire qui l'amenait à son nouveau lycée. Cela faisait déjà quinze jours qu'elles étaient arrivées ici, quinze jours que Sienna n'avait jamais été aussi près de son père, sa mère ayant décidé tout récemment de venir s'installer là où elle l'avait rencontré... Et où, d'après les recherches de l'adolescente, ce dernier vivait toujours. Elle crevait d'envie de le rencontrer, de voir comment il était, s'il ressemblait à ce qu'elle s'était imaginée. S'il savait combien il lui avait manqué durant ses dix-sept années. Mais il ne savait même pas qu'elle existait, faute à sa mère, qui avait préféré ne rien lui dire concernant l'existence de leur fille et l'élever loin de lui. Pour cela, Sienna lui en voulait beaucoup et n'était plus aussi proche d'elle qu'elle avait pu l'être il y a quelques années. Etre privée de sa présence auprès d'elle avait été plus compliqué qu'elle ne l'avait laissé paraître, même si extérieurement, Sienna avait toujours semblé ne manquer de rien. Mais un père pour une fille, c'est loin d'être rien. C'est un tout et elle avait souvent rêvé du jour où elle pourrait enfin mettre un visage sur lui. Elle s'était aussi très souvent imaginé ce qu'elle lui dirait le jour où elle pourrait enfin le rencontrer. Et elle n'avait pas l'intention d'attendre un jour de plus. Même si, si près du but, malgré l'impatience qu'elle avait de le voir enfin, elle appréhendait un peu la rencontre : et s'il ne la croyait pas ? Et si ça se passait mal ? Après tout, on était pas dans un film à la télé où tout se terminait sur un Happy End... Peut-être qu'il ne voudrait rien savoir d'elle, peut-être avait-il sa propre famille, une épouse, des enfants et qu'il finirait par lui dire qu'il ne voulait plus la revoir, qui qu'elle soit pour lui... C'était possible et le nez dans son bol de céréales, cette possibilité inquiétait beaucoup Sienna... Mais elle n'avait pas l'intention de reculer, ni de changer ses plans : aujourd'hui, elle se rendrait à l'école où il travaillait. Elle se le devait à elle-même et à lui aussi. Les cachotteries de sa mère avait assez durées et Sienna ne voulait plus en payer les pots cassés. Elle essaya donc de faire disparaître ses appréhensions autant que possible et tenta de se rassurer elle-même en se disant que tout allait bien se passer.

La jeune fille était sencée aller en cours, mais elle avait fait croire à sa mère qu'elle ne se sentait pas très bien ce matin pour pouvoir y échapper. Le lycée avait été prévenu de son absence, ce qui lui laissait la journée de libre. Et il n'y avait pas un instant à perdre. Incapable d'ingurgiter une cuillère de céréales supplémentaire, ses efforts pour atténuer ses inquiétudes à propos de la rencontre à venir n'étant pas vraiment efficaces, l'adolescente jeta le reste de son bol à la poubelle avant de le laisser dans le lave-vaisselle et fila à l'étage en vue de se préparer. Si depuis l'accident de son meilleur ami elle ne faisait pas vraiment attention à son style vestimentaire,  pour rencontrer son père, elle avait décidé de faire un effort tout particulier sur sa tenue du jour, composée d'un Jean sans trous aux genoux cette fois, d'un pull beige histoire d'affronter cette journée d'hiver et, pour gagner quelques centimètres supplémentaires, elle avait enfilé une paire de bottines à talons de couleur noires. Pour compléter l'ensemble, elle avait ressorti également une paire de boucles d'oreilles et s'était noué les cheveux en une queue de cheval avant de se maquiller légèrement, pour enfin, enfiler sa veste.  Fin prête, elle attrapa un sac à mains noir dans lequel elle glissa son portable, un peu d'argent pour les transports en communs et ses clés et sorti de chez elle.

Dans le bus qui la menait droit vers l'école où travaillait son père, elle s'était quelque peu apaisée et détendue en écoutant son groupe préféré et c'est en tentant de prendre confiance en elle qu'elle en sorti, quelques minutes plus tard, lorsqu'elle fut arrivée au bon endroit. Contrairement aux apparences, sa démarche démontrait une certaine assurance, mais la jeune fille était loin d'être sûre d'elle intérieurement en ce moment. Avant d'entrer dans le bâtiment scolaire, elle poussa un profond soupir pour se redonner courage et poussa la grille de l'entrée qui donnait sur une cour de récréations où bon nombre d'enfants s'amusaient en attendant le début des cours. Ceux qui préféraient rester au chaud, les plus petits certainement, se trouvaient dans le local de garderie que la jeune fille reconnu en voyant une maman faire un coucou d'aurevoir à son petit garçon debout face à la fenêtre. Le petit garçon, dans les bras de la surveillante, répondait au coucou de sa maman avec sa petite main et un grand sourire qui rendi directement le sourire aux lèvres de l'adolescente. L'enfant lui avait fait quelque peu penser à elle au même âge, quand sa mère à elle la laissait à l'école et que la petite fille lui disait aurevoir sans broncher, un jouet à la main et un grand sourire, impatiente d'aller jouer avec les autres, mais prenant le temps cependant de rassurer sa maman à sa façon en lui faisant comprendre que tout se passerait bien pour elle et qu'elle ne devait pas s'inquiéter. Des deux, on aurait toujours dit que c'était sa mère qui avait le plus de difficultés à la laisser. L'école, petite, Sienna adorait cela et était toujours contente d'y aller. Et puis elle avait grandi et son amour pour l'école avait changé. Envolée la petite fille qui courait en direction du bâtiment scolaire dès qu'elle l'appercevait. A présent, quand elle y allait, c'était quasiment en traînant les pieds.

Dans la cour de l'école, quelques surveillantes étaient présentes et Sienna s'était avancée vers l'une d'elles pour lui demander où se trouvait la classe de monsieur Hanover. Classe qu'on lui indiqua sans problème et la jeune fille repris son chemin jusqu'à l'endroit indiqué. Il restait encore un peu de temps avant le début des cours. Et juste une porte entre eux deux désormais. Sienna avait pris quelques secondes pour elle avant d'enfin oser toquer à cette dernière pour ensuite l'ouvrir. Ses appréhensions la rattrapèrent presque aussitôt et c'est d'une voix mal assurée qu'elle brisa le silence entre eux.

«  Bonjour, je m'appelle Sienna et je cherche la classe de Calvin Hanover. C'est bien ici ? »

Elle en était quasiment persuadée mais elle voulait avant tout être sûre de s'adresser à la bonne personne. Son regard posé sur l'adulte face à elle, elle l'observait attentivement en restant près de la porte qu'elle venait de passer, sans s'avancer davantage, quelque peu troublée par le moment qui s'offrait à elle. Elle avait beau s'être imaginée un million de fois ce qu'elle dirait à son père lorsqu'elle le retrouverait, à présent qu'il était face à elle, elle en perdait un peu ses moyens et se montrait beaucoup plus silencieuse que d'ordinaire, se contentant juste de l'observer, bien qu'elle aurait tout donné pour pouvoir s'avancer vers lui et se blottir dans ses bras. Mais cela aurait été mal venu. Pour lui, elle n'était qu'une étrangère, et bien qu'elle sache qui il était, pour elle, il en était un aussi.

Calvin a toujours fait ce qu'il voulait, ses parents, en particulier sa mère l'ayant poussé depuis son plus jeune âge à ne jamais baisser les bras et toujours essayer. Il s'est donc lancé dans l'enseignement comme il en rêvait  et il n'a pas un jour regretté ses choix. Ses élèves sont très compréhensifs et généralement, habitant une ville minuscule, les parents sont au courant de son handicap et préviennent les enfants. Il a toujours répondu ouvertement aux questions des élèves. Il sait gérer, il n'a pas besoin d'aide, la classe a été emménager de sorte qu'il puisse circuler entre les bureaux, mais des fois il a du mal. La mairie lui a donc proposé d'engager une jeune fille, ou un jeune homme pour l'aider au quotidien. Cela pourrait servir de stage à la jeune personne et Cal aurait un coup de main. Bien qu'il n'aime pas qu'on lui fasse la charité, il voit plutôt ça du bon côté. Pouvoir donné à quelqu'un l'amour de l'enseignement et découvrir si ce métier peut correspondre à ses attentes. C'est quand même drôle, que dès le plus jeune âge on nous dit de choisir et de faire un métier, alors qu'on ne sait pas vraiment à quoi s'attendre réellement.

Calvin se trouvait encore chez lui, avant de filer à l'école. Il discutait avec Iris, qui lui semblait bien triste aujourd'hui, il n'aimait pas la voir comme ça. Il essayait tant bien que mal d'être un père pour elle, même s'il n'était que son oncle. Il a toujours voulu d'être père, il s'est toujours vu avec un bébé dans les bras, ressentir cet amour qui comble le cœur, être prêt à tout pour ce petit être. Bien sûr, il aimait Iris de tout son cœur, elle était comme sa fille, mais il lui arrivait de lui demander si c'était le même amour qu'on ressentait pour son enfant . Car il ne s'imagine pas le moins du monde aimer quelqu'un plus fort qu'Iris. Cal finit par lui décrocher un sourire quand il lui parle de la fête de l'amour et du stand avec les petits chiots, sans pour autant lui dire qu'ils en prendront un... Il aime la voir le visage souriant. L'homme part enfin de son domicile et prends le bus jusqu'à l'école, ce dernier étant adapté à son handicape, toute façon depuis le temps, la conductrice sait très bien ses habitudes et attend souvent un peu Calvin.

Une fois arrivé devant l'école, il salue ses collègues, et se dirige vers la salle des professeurs pour se prendre un café. Une bonne amie à lui prend gentiment son gobelet et discute jusqu'à sa salle de classe. Cal se met à son bureau, buvant une gorgé de son café et termine de corriger les trois copies qu'il lui reste, alors qu'il est plongé en pleine correction, il entend frapper.

- Entrez ! Dit-il finissant de mettre la note sur la copie de son élève.

Il regarde la jeune fille, bien trop jeune pour avoir un élève dans sa classe. Il ne dit rien, un peu troublé par elle qui luit rappel quelqu'un. Elle brise le silence se présentant.

- Oui, vous êtes au bon endroit c'est ma classe. Mais attendez, vous êtes la nouvelle stagiaire c'est ça . Il sourit. Mais entez, approchez-vous, je ne mords pas, prenez place. désignant la chaise en face de lui. Je dois terminer quelques corrections mais nous pouvons discuter.

Il reste derrière son bureau, après tout, la mairie a dû l'informer de son handicap, puis la classe va commencer bientôt et il aimerait terminer de corriger ses devoirs.

Un des plus gros défauts de Sienna était d'agir sans réfléchir, de suivre toujours ses pulsions, sans se soucier du fait qu'elle était peut-être en train de faire une bêtise, et encore moins des conséquences qui en découleraient. Et si cela lui avait déjà joué des tours de par le passé, elle semblait n'en avoir tiré malheureusement aucune leçon. D'ailleurs, alors que son père la prenait pour une stagiaire, il aurait été plus simple pour elle d'avouer directement qui elle était, mais tout ce qu'elle avait vu elle, c'était la possibilité de pouvoir passer plus de temps avec lui en se faisant passer pour ce qu'elle n'était pas. Si elle lui disait la vérité maintenant, elle devrait repartir avant l'arrivée des élèves, ce qui ne lui laisserait que très peu de temps en sa compagnie. Là, il lui avait servi sur un plateau une très bonne excuse pour rester. Etre stagiaire dans sa classe ne devrait très certainement pas être très compliqué et puis, elle aimait beaucoup le contact avec les enfants. C'était de toute évidence un point commun qu'elle avait avec lui. Y'en avait-il d'autres ? Sienna ne demandait qu'à voir. Elle avait dès lors préféré ne pas le contredire et s'était avancée vers lui avant de s'installer sur la chaise qu'il lui avait indiquée. Du haut de ses dix-sept ans, cela lui faisait bizarre d'être vouvoyée, elle n'en avait pas l'habitude. De son coté à elle, elle s'était mal vue le vouvoyer, vu le lien qui l'unissait à elle, mais le tutoyer aurait été mal venu d'entrée de jeu, c'est pourquoi elle avait choisi de s'adresser à lui sans utiliser ni le tu, ni le vous. Mais elle préférait faire baisser cette barrière qu'il mettait entre lui et elle rapidement et repris la parole avec un sourire.

« Est ce que l'on pourrait se tutoyer ? J'ai toujours un peu de mal quand on s'adresse à moi en me vouvoyant, ça me donne l'impression d'avoir pris dix ou vingt ans de plus...  Et je ne suis pas pressée de les avoir pour tout dire.  »

Même vis-à-vis des enfants, elle préférerait qu'ils la tutoie, car après tout, elle pourrait largement être leur grande soeur à tous. En parlant des enfants, elle n'avait pas pu manquer de remarquer qu'ils semblaient pour la plupart plutôt studieux, l'adulte face à elle n'avait eu que très peu de choses à corriger dans les copies, quelques erreurs par ci par là, mais rien de très grave, d'après ce qu'elle avait pu voir. Il faudrait qu'elle songe à prendre exemple sur eux, car de son coté, elle était moins bien studieuse et collectionnait plutôt les mauvaises notes en ce moment dans certaines matières. L'avantage d'être ici aujourd'hui, c'est qu'elle épargnerait l'encre rouge de ses professeurs. Et puis à choisir, elle préférait nettement être ici qu'au lycée. Malheureusement, elle le savait, cette situation ne durerait pas, tôt ou tard, il faudrait qu'elle annonce la vérité à son père. Mais pour lors, elle voulait juste profiter de sa présence tant que c'était possible.

«  C'est une très jolie classe, j'aime beaucoup son aménagement, et tout cet espace, ça doit être agréable de travailler ici. C'est la première école américaine que je visite, là d'où je viens, elles ne sont pas si grandes. Il y a beaucoup d'élèves? Et quel âge ont-ils? Pardon pour toutes ces questions, je suppose que je ne tarderais pas à avoir mes réponses car ils vont bientôt arriver j'imagine, mais je suis juste curieuse. Quel sera le programme de cette matinée ? »

Le savoir à l'avance pourra lui permettre de voir comment se rendre utile. Même si il y aurait de sa part beaucoup d'improvisations, mais ce n'était pas quelque chose qui lui faisait peur, curieusement. Elle verrait au fur et à mesure.